Elle découvre ce positif sur la bandelette, ce positif tant attendu et qui soulève tant d'ambivalence. L'immense joie de ne pas avoir fait tout ça pour rien, la terreur de vivre à nouveau la perte de cette toute petite vie en elle. C'est tôt, 10dpo. Elle n'aurait pas du tester si tôt, il faut attendre encore plus ces 6 ou 7 semaines fatidiques pendant lesquelles elle perd en général ses tout petits.
Oui, elle est enceinte, pour combien de temps. Lancinante question.
Elle veut quand même marquer le coup, parce que si un jour cet enfant grandit, elle ne veut pas se souvenir de ce jour où ils l'ont appris comme d'un jour triste, inquiet ou banal. Le lendemain, elle réveille son mari, elle lui glisse dans la main le test de grossesse qu'elle a fait pour lui, elle voudrait que ça confirme la bandelette, elle voudrait que ça soit lui qui découvre le résultat. Le 3ème en FIV. Après quasi 2 mois de traitements. Foutu sablier, Claireblue je te déteste, grouille toi les fesses ! L'homme sourit et et bien trop de temps pour le lire "enceinte, 1-2semaines".
Elle fourre ses intimes bonbons consciencieusement, chaque jour, comme pour conjurer le sort... Elle dilue son petit sachet d'aspégic, comme si ça pouvait changer quelque chose, comme si ça pouvait fournir à cet embryon ses chromosomes là où il faut.
Le premier taux arrive, il n'est pas très haut, mais il ne veut sans doute pas dire grand chose. Elle devrait se réjouir, elle devrait, elle n'y parvient pas, elle voudrait tant se protéger. Et puis ce sont des considérations de riches, mais il n'y a sans doute qu'un seul embryon et quelque part, c'est une chance de moins. Elle culpabilise, parce qu'elle pense à Boupe, et à celles qui pleurent l'absence de +, ne serait ce que ce +.
Le deuxième taux n'a pas doublé. Elle pleure toute la journée, comme une malheureuse au milieu de l'hopital dans lequel elle travaille. Elle envoie bouler gentiment les passants qui s'arrêtent, elle veut juste pleurer, vider son désespoir, elle ne veut pas croire en cette petite vie qui va bientot la quitter, ça fait trop mal, trop mal. Elle essaie d'arrêter de pleurer parce qu'il faut travailler. Elle a un examen à la fin de la semaine, elle va le planter mais elle s'en fiche.
Le troisième taux, quand elle le reçoit, elle est entre deux patients. Elle ne le lit même pas, elle veut avoir la tête à ses petits patients, pas à cet enfant dans son ventre, et elle a trop peur de craquer. Elle donne toute cette énergie maternelle si vide de sens actuellement pour ces enfants qui vont mal, pour ces parents désarmés ou épuisés. A la fin des consultations, elle lit enfin ce taux que son médecin lui a envoyé par texto. Ca a doublé, elle ne veut pas en savoir plus, l'espoir renait un peu, suffisamment pour passer un bon we? Elle voudrait tant avoir confiance... Elle choisit d'avoir confiance, au moins deux jours, ça a doublé.
Mais très vite, la confiance s'effrite, se dissloque, laisse place à cette satanée angoisse, omniprésente. Parce qu'il a beau doubler ce taux, il est trop bas. Il devrait quasi être le double, pourquoi ce petit ne grandit pas, pourquoi on ne peut pas juste avoir des signaux rassurants? La naïveté de son mari qui y croit si fort l'agace parfois, force son admiration le plus souvent. Elle croit qu'en prévoyant le pire, elle souffrira moins. Stupide croyance.
Elle consulte compulsivement les forums, en français, en anglais, les articles médicaux, ceux qui lui disent qu'un taux à moins de 400 à 17dpo, ça pue, ou moins de 223 à 16 dpo, selon les articles. Oh, super, je suis en dessous. Mais elle devrait être heureuse, les FIV, ça marche !
Elle se tâte les seins si souvent, parfois oubliant que ce geste peut
sembler incongru dans les couloirs du RER, mais il est devenu tellement
réflexe. Une réassurance maladroite et désespérante, parce que c'est
comme si ses seins avaient une vie propre, plus ou moins douloureux par
moment, jamais suffisamment douloureux à son goût. Si seulement ils pouvaient écrire "tout va bien", clairement !
Un jour de plus est passé. Un jour de plus vers la fin... ou vers le bonheur. Un jour de plus vers la douleur, ou vers l'inespéré.
Elle court aux toilettes 15 fois par jour, pour vérifier que ce n'est pas une mare de sang qu'elle va trouver dans sa culotte, comme la derniere fois, mais juste un peu de progestan. Chaque crampe dans son ventre lui rappelle les douleurs par lesquelles il a fallu expulser ces tout petits embryons les dernières fois, tout ce sang, toute cette mort, toute cette peur.
Par moment, elle n'y pense pas et bénit ces moments, parce qu'elle voit des patients, ou parce qu'elle s'abrutit devant une série, ou parce qu'elle rit avec des amis ou parce qu'elle coud un petit vêtement... Mais ces moments se font rares et laissent place à tant d'heures où son coeur se serre, paniqué, parce qu'elle n'y croit plus. Elle se sent tellement incapable de dompter cette angoisse, et pourtant, elle sait bien qu'elle est impuissante, totalement.
A d'autres moment, elle se dit que la roue va bien finir par tourner, que peut être, on ne sait pas, on pourrait défier les statistiques et que même avec des taux limites et une épée de damoclès chromosomique au dessus de la tête, même avec ces éléments, un bébé rose pourrait naitre ! La DPA serait en mars. C'est un beau mois pour naitre mars. Elle pense à l'organisation, et à ce nouveau né blottit contre elle. Juste un miracle, un vrai. Tu rêves ma pauvre fille...
Elle fait déjà le scénario dans sa tête. Le prochain taux,
à nouveau, limite, pas rassurant. S'il n'y a pas de sang avant, l'écho,
la fameuse, et dans l'utérus un sac trop petit, ou un embryon sans
coeur qui bat. Elle parie plutôt sur les saignements avant d'ailleurs,
l'écho étant prévue le 24 juillet.
Et si par
miracle le coeur bat, c'est pour mieux tomber deux semaines plus tard,
parce que ces mauvais taux, c'est comme le proverbe "y a pas de fumée
sans feu". Y a qu'a lire les témoignages sur le net. Tous ces gens dont le bonheur s'effondre, ça la fait pleurer. Encore.
Elle déteste ce scénario, elle espère
tellement avoir tort, elle prie toutes les énergies de lui prouver
qu'elle est juste une sale pessimiste, qu'elle se trompe...
Pour une fois, je veux juste avoir tort.Et ne savourerais aucunement le fait d'avoir eu raison.
Le film que je déteste le plus, c'est Titanic. Monter si haut pour tomber si bas...